[Drame] *******

"Papa va mourir." dit maman d'une voix triste. Triste ? Ah, non. Triste-forcée c'est
mieux pour parler de son humeur. C'est qu'une menteuse. Elle trompe Papa depuis super
longtemps. Et lui, il n'a jamais rien fait. Il ne lui a pas dit d'arrêter, il...
Il est resté impuissant. Je l'entends pleurer, le soir. Il dort dans une autre
chambre maintenant. Il est loin de nous, on ne le voit presque plus... Le docteur a
dit que c'était mieux. Il a dit qu'il était contagieux, aussi. Ca fait deux mois.
Deux mois sans parler avec mon père. Deux mois où il ne se passe rien. Deux mois où,
pendant le repas, c'est le silence. À part quand ma mère parle de son travail.
Classique. Classique et vraiment énervant. Moi ça m'énerve. Je veux que papa revienne.
Je veux qu'il refasse des blagues. Je veux qu'on rigole. Je veux qu'il dise à ma sœur
de se dépêcher de manger, et d'arrêter de parler. Elle ne parle même plus, maintenant.
Elle ressemble à un fantôme. Elle est devenue toute pâle et ne descend plus prendre le
repas avec nous. Je l'entends pleurer, dans sa chambre, chaque soir. J'ai déjà essayé
de lui parler, mais elle me dégage. Et quand elle n'en a pas la force, elle
s'enfonce dans son silence. Autrefois, on nous entendait rire toutes les deux, à force
de faire des trucs débiles, de dire des trucs débiles... Mais maintenant, le seul
bruit qui orne la maison, c'est celui du vent qui fait claquer les fenêtres.
"Noooon !" hurle Amélie. Elle se baisse, et ses larmes coulent comme une fontaine.
Je ne l'ai jamais vue dans un état pareil. Elle sert ses poings et les frappe sur
ses genoux, faute de meuble à disposition.
Elle part en courant, on entend la porte de sa chambre claquer violemment. Et puis,
Silence. Moi, je ne sais pas quoi dire. C'est comme si j'étais dans un monde
parallèle, très loin du notre. Je regarde ma mère. Elle n'a pas l'air affectée.
Que pense-t-elle, à présent ? "J'aurais dû être une meilleure femme..." ?
... Ou plutôt "Je vais pouvoir me marier avec Henri !" ?
Je penche pour le deuxième, sincèrement. Mes yeux sont plantés dans les siens, elle a
un mouvement de recul.
"Ca va ? Que t'arrive-t-il ?" me demande-t-elle d'une voix douce.
"Oh, je viens juste d'apprendre que mon père va mourir... Mais tu n'as pas l'air d'avoir grand chose à faire de l'état de santé de ton mari, alors je ne vais pas te gêner plus longtemps." je lui dit.
Je la fixe un instant encore, puis tourne les talons.
Je traverse l'aile Est de la maison et entre dans ma chambre. Je m'apprête à refermer
la porte, mais je recule.
Je regarde la chambre en face de la mienne. Je m'en approche et toque à la porte.
"Amélie..."
Elle m'ignore. Je m'adosse à la porte, et me laisse glisser jusqu'au sol.
"Je sais que tu m'entends... Je... Je sais que c'est difficile à surmonter mais...
Maman changera, un jour... Et... Papa... il va être soigné... C'est certain...
On retournera près du lac, et on fera un pique-nique... Ce sera amusant, tu verras..."
Ma voix se brise. Je l'entends sangloter. Je ne sers décidemment à rien, j'en ai
assez. Je me mets à pleurer aussi, mais je ne veux pas qu'Amélie sache que j'ai
d'ores et déjà perdu espoir. Je me relève et pars en vitesse.
Entrée dans ma chambre, je ferme ma porte à clé. Je n'aime pas que l'un des
domestiques entre alors que je réfléchis.
Ma chambre est très vaste, j'ai un lit à baldaquins, un bureau, une table décorative
sur laquelle sont posées des Salsepareilles dans un vase décoré...
Il y a une fenêtre. Et un petit banc surmonté d'un joli coussin rouge grenat.
Je m'assieds dessus et regarde le jardin du manoir. Les jardiniers ont tout taillé il
y a peu, c'est assez joli... Mais la pluie torrentielle gâche la journée. Comme si le
ciel pleurait la disparition future de Papa.
S'il y a un Dieu qui me regarde, pourquoi ne pourrait-il pas sauver mon père ?
S'il est si fort qu'on le prétend, alors pourquoi ? Pourquoi il ne fait rien ?
C'est pour ça que je suis persuadée qu'il n'y a pas un quelconque dieu. (merci de ne
pas déclencher de guerre.)
Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire... Je m'ennuie tant !
J'attrape une lettre de ma mère que je lui ai volée. Oui, volée.
Je n'aime pas la voir lire avec tant de passion les textes de ce Henri. Je ne l'ai
toujours pas ouverte, ce que je décide de faire.
"Ma tendre Sybille,
J'ai reçu votre récente lettre, je suis sincèrement désolé pour votre mari. J'espère
que la tristesse ne marquera pas trop longtemps votre visage, car si nous voulons nous
marier, il faut bien que vous soyez heureuse. Prenez le temps d'être entièrement
remise, nous ne sommes pas encore pressés. Il faudra penser à vendre votre propriété,
la mienne est bien plus moderne.
Salutations Distinguées,
Le Comte Henri qui vous embrasse."
Des larmes envahissent mon visage. Elle veut vraiment vendre la maison ? Le temps
passé ici ne représente donc rien pour elle ? Je n'en peux plus.
Je déchire la lettre, la massacre.
Je déteste ma mère. Tout est de sa faute.